Lorsqu'en 1993, Roma Ligocka assiste, sur invitation du maire de Cracovie à la projection de La Liste de Schindler de Steven Spielberg, elle reste pétrifiée devant la célèbre scène où une petite fille en manteau rouge traverse, tache de couleur solitaire, le paysage dévasté du ghetto de Cracovie. "C'est moi ! Cette petite fille. C'était moi !"
Car elle aussi portait un manteau rouge dans le ghetto quand, avec sa mère, elle cherchait à survivre malgré la faim, malgré le froid, malgré la maladie et les SS qui tuaient hommes, femmes, enfants au moindre prétexte. Le film sera le déclic qui permettra à ces souvenirs refoulés depuis cinquante ans de remonter à la surface, et à Roma Ligocka de se libérer un tant soit peu des cauchemars qui la hantent.
Né juive dans une famille aisée et unie, elle fut enfermée avec les siens dans le ghetto en mars 1941, à l'âge de trois ans. Comme des dizaines de milliers de Juifs, pour qui la seule perspective était la déportation et la mort. Ayant réussi à s'évader avec sa mère en 1943, les cheveux teints en blond, elle connut la clandestinité, les fausses identités et la fuite continuelle d'une cachette à une autre, l'abnégation et la générosité des uns, la mesquinerie meurtrière des autres.
Ayant survécu à la Shoah, Roma Ligocka raconte ce que fut la griserie éphémère de la Libération, et le couvercle de plomb que le stalinisme ne tarda pas à poser sur une Pologne exsangue, mais ivre de liberté. Devenue décoratrice de théâtre et peintre, elle livre ici un témoignage déchirant sur cette enfance ravagée et cette jeunesse sacrifiée. C'est un cri de douleur, mais aussi d'espoir, car Roma Ligocka est la preuve vivante qu'on peut se reconstruire pour peu qu'on récuse à la fois la haine et l'oubli.
La Petite fille au manteau rouge a été publié dans douze pays, y compris la Pologne et l'Allemagne, où il a été salué comme un chef-d'oeuvre et a connu un succès considérable.
Ouvrage traduit avec le concours du Centre national du livre.