L'inconnu me dévore
Pierre adrian
"Je fus souvent dans ma famille un sujet d'étonnement. Ça continue. Quand, cet été, ma mère m'interrogeait sur mes projets de livres, je lui fis l'aveu que j'aimerais écrire un ouvrage mystique qui pourrait s'appeler Lettre à mes filles sur l'amour de Dieu. La surprise passée, il y eut dans ses yeux une larme de joie. Et mon projet se confirme. Et ma hantise me poursuit. Le temps est venu de transmettre à mes filles un héritage secret. J'aimerais ouvrir mes portes. Raviver les lampes. Indiquer les points fixes sur l'obscurité de la mer. Il n'y a que Dieu. À présent, il va falloir me mettre au travail, tisonner ce feu intérieur, avec un mélange de détresse et de joie. Je dirai tout. Je vais ouvrir le bief. Mes filles, pas trop de bruit. J'ai besoin de silence." (Ce billet a paru dans La Vie en 1969.) Xavier Grall est un beatnik, un immense poète méconnu ou bien réduit à ses origines bretonnes. Il a pourtant marqué toute une génération et sa voix nous parvient aujourd'hui plus ardente que jamais. L'inconnu me dévore est cette lettre qu'un père écrit à ses cinq filles, « ses Divines ». C'est un long poème, un cantique à la Terre, au doux clapot des vagues et à l'appel des matelots. C'est un acte de foi sans précédent en même temps qu'un véhément pamphlet contre l'Eglise des « bigots qui ont peur de tout : des femmes, de la vie, de Dieu et de l'enfer ». Xavier Grall raconte son « austère passé », son enfance d'abominations et de péchés. Puis, l'homme s'est affranchi, il a découvert la tendresse, l'amour, la liberté. Comme Bernanos, il fustige « la grande peur des bien-pensants », qu'ils soient réactionnaires ou progressistes. Il rejette le culte de l'argent, « du confort et de l'abdication ». Fils de Rimbaud, de Kerouac et de Céline, Xavier Grall est un barde rebelle, un insurgé solitaire et mystique dont les mots éclatent de couleurs, de colère, de sensualité et d'un « insatiable besoin de routes et de prières ».