La beauté du monde
Michel le bris
Sur les photos de Martin et Osa Johnson, on voit ce couple vedette, ces amants de l’aventure, tels qu’ils prêtent à rêver, tels qu’ils inspirent à Michel le Bris ce roman-vrai du Continent noir : Osa, sensuelle, rayonnante, la carabine à l’épaule ou le viseur sur l’œil, saluant ici un chasseur au teint d’ébène, serrant ailleurs la main fripée d’un chimpanzé. Martin, l’ancien cuisinier de la croisière du Snark avec Jack London, l’ingénieux caméraman qui filma les réducteurs de têtes des Nouvelles Hébrides et les Big Nambas, maintenant commandant à une armée de porteurs, à l’assaut des territoires encore inviolés du Kenya. Martin et Osa Johnson, dans les années 1920, furent les grandes stars de l’aventure. Une certaine Winnie est chargée en 1938 d’écrire les mémoires d’Osa, veuve désormais, beauté flétrie réfugiée dans l’alcool. Commence un troublant face à face, où la jeune Winnie, outrepassant son rôle, prend peu à peu possession de son modèle, menant une enquête presque policière, traquant les zones d’ombres du couple qui révéla l’Afrique sauvage, mais paradisiaque, mais vierge, à l’Amérique. Mais il se pourrait bien que ce soit Osa, qui mène en fait le jeu, à travers ses confidences – Osa hantée par le mystère de la beauté du monde… Du New York des « Roaring twenties » à la jungle kenyane, de la « table ronde » de l’Algonquin, où Dorothy Parker et Zelda Fitzgerald furent les marraines new-yorkaises d’Osa, à la jungle étouffante du pays des Pygmées, des clubs de Jazz de Harlem où l’on ignorait résolument la prohibition tandis que s’inventait le style « jungle », au spectacle du monde primitif encore préservé : c’est toute une époque que Michel Le Bris nous fait revivre. Duke Ellington et King Kong, le Muséum d’histoire naturelle et les grands singes abattus, Hollywood et la fin du cinéma muet, les dernières heures de l’ « heureuse » colonisation, les couleurs fauves d’une ferme en Afrique : un roman en technicolor.